02/04
L’homme à la découverte de son âme
Inconscient
Songes
Préface (Dr. Roland Cahen)
Le lecteur verra dans cet ouvrage combien le rêve est la cheville ouvrière de toute la pensée et de toute la psychologie de Jung ; il verra avec quelle intelligence, aussi avisée et souple que scrupuleuse, avec quelle honnêteté intellectuelle, Jung a abordé et élucidé ce sujet délicat entre tous. Décédé en juin 1961, il laisse une œuvre publiée composée d’une trentaine d’ouvrages (outre plus de 100 communications scientifiques, articles et préfaces) et a par ailleurs étudié chaque année entre 1500 et 2000 rêves.
La projection s’est révélée être d’une importance égale à celle de la perception. Aujourd’hui, il faut dire que l’individu a deux liens au monde, la perception et la projection, ces deux liens, pour s’exercer en direction inverse, n’en étant pas moins d’une égale importance et aussi d’une égale irrationalité. La perception est ce que l’individu reçoit du monde par l’intermédiaire de ses sens. La projection est ce qu’il y investit, c’est-à-dire les mirages, les chimères intérieures qui se plaquent sur l’objet, en interdisant la perception. Car la projection estompe, modifie, travestit la perception, l’efface même pour être perçue à sa place. Ces projections demeurent inconscientes.
A la conquête de la conscience
Ce devait être un privilège de notre rationalisme d’expliquer le rêve et sa constitution par les seuls reliquats de la vie diurne, c’est-à-dire par les miettes du plantureux festin de la vie consciente tombée dans les bas-fonds. Le rêve n’est rien d’autre qu’une inspiration qui nous vient de cette âme obscure et unificatrice. Qu’y aurait-il de plus naturel, une fois que nous sommes perdus dans les détails infinis et dans le labyrinthe de la surface du monde, que de nous arrêter aux rêves pour y rechercher les points de vue susceptibles de nous ramener à nouveau à proximité des faits fondamentaux de l’existence humaine ?
Vos rêves sont l’expression de votre nature subjective ; c’est pourquoi ils peuvent révéler par quelle faute d’attitude vous êtes fourvoyé dans une impasse. En fait, les rêves sont des produits de l’âme inconsciente ; ils sont spontanés, sans parti pris, soustraits à l’arbitraire de la conscience. Ils sont pure nature et, par suite, d’une vérité naturelle et sans fard; ils jouissent d’un privilège sans égal pour nous restituer une attitude conforme à la nature fondamentale de l’homme, si notre conscience -éloignée de ses assises- est embourbée dans quelle ornière ou quelque impossibilité.
Méditer ses rêves, c’est faire un retour sur soi-même. Au cours de ces réflexions, la conscience du moi ne médite pas sur elle seule; elle s’arrête aux données objectives du rêve comme à une communication ou un message provenant de l’âme inconsciente et unique de l’humanité. On médite sur le soi et non sur le moi, sur ce soi étranger qui nous est essentiel, qui constitue notre socle et qui, dans le passé, a engendré le moi; il nous est devenu étranger, car nous nous sommes aliénés en suivant les errements de notre conscience.
Nous pouvons avec une égale certitude supposer que les rêves émanent essentiellement de notre nature inconsciente ; ils en sont pour le moins des symptômes, qui permettent par inférence de pressentir sa complexion. C’est pourquoi les rêves sont les instruments les plus propres à l’étude de l’essence même de l’homme.
Nous rêvons toujours de nous-mêmes, à travers le prisme de notre individualité une et unique. Un rêve à signification collective sera donc en première ligne valable pour le rêveur, même s’il exprimera, en même temps, que la problématique momentanée de celui-ci, celles aussi partagées par beaucoup de ses contemporains. D’ailleurs, tout problème particulier est en rapport, de quelque façon, avec les problèmes de l’époque, ce qui explique que, pour ainsi dire, toute difficulté subjective puisse être considérée en fonction de la situation générale de l’humanité. Ces rêves- là, les primitifs les appellent les ‘grands rêves’.
Seul peut résister celui qui ne se cantonne pas dans l’extérieur, mais qui prend appui dans son monde intérieur et y possède un havre sûr. Le profane peut difficilement discerner combien il est influencé dans tous ses penchants, ses humeurs, ses décisions, par les données obscures de son âme, puissances dangereuses ou salutaires qui forgent son destin.
A l’opposé de la pensée logique, caractéristique des processus mentaux conscients, la liaison des représentations dans le rêve est hautement fantaisiste ; la démarche associative du songe crée des relations et des rapprochements qui, en règle générale, sont totalement étrangers au sens du réel. Ce qui fait dire communément du rêve qu’il est absurde. Avant de porter un tel jugement, considérons que le rêve, ses tenants et ses aboutissants, forme pour nous une entité impénétrable ; un pareil jugement de notre part est donc la projection, sur l’objet, de notre incompréhension.
Pour comprendre le rêve, il conviendra d’abord que l’on recherche de quelles réminiscences vécues il se compose. On utilise pour cela la ‘méthode des associations libres’. Cependant, il faut nous borner à l’étude des matériaux psychiques absolument indispensables à la dimension du rêve. On peut se demander par exemple « A quoi sert, à quoi rime le songe ? Que doit-il susciter ? Pourquoi ? Dans quel but ? ». Dans le rêve, l’inconscient a une « fonction contrepoids » ; les pensées, penchants et tendances, que la vie consciente ne met pas suffisamment en valeur, entrent en action, comme par allusion, durant le sommeil, état où les processus conscients sont presque totalement éliminés. C’est ainsi que les rêves de personnes inattaquables au point de vue moral, libèrent des contenus immoraux au sens courant du mot.
Le songe constitue une régulation psychique indispensable à toute activité ordonnée. Réfléchir à un problème, c’est l’envisager en vue de sa solution, sous toutes ses facettes et avec toutes les conséquences qu’il comporte ; ce processus mental, en quelque sorte, se perpétue automatiquement durant l’état plus ou moins inconscient du sommet. Il semble que tous les points de vue sous-estimés ou méconnus à l’état de veille, c’est-à-dire qui étaient relativement inconscients, s’y présentent à l’esprit du rêveur, ne serait-ce que par allusion. Le symbolisme des rêves sera apprécié de façon fort différente selon qu’on le considère du point de vue causal ou du point de vue final.
Pour éduquer, pour acheminer une personnalité vers son autonomie harmonieuse, il faut tenter de lui faire assimiler toutes les fonctions demeurées embryonnaires en son sein et qui n’ont pas réalisé leur épanouissement dans la conscience.
De nombreux motifs mythologiques se retrouvent fréquemment avec une signification analogue dans les rêves de bien des personnes. Il est caractéristique que le rêve ne s’exprime jamais de façon abstraite et logique, mais toujours à l’aide de paraboles et d’allégories. Notre corps conserve les traces de son développement phylogénétique ; il en est de même de l’esprit humain. Il est donc possible de voir dans le langage allégorique de nos rêves un reliquat archaïque.
Si nous voulons interpréter un rêve correctement, il nous faut une connaissance approfondie de la situation consciente correspondante ; le rêve révèle la face inconsciente et complémentaire, c’est-à-dire qu’il contient les matériaux constellés dans l’inconscient, de par la situation consciente momentanée.
Quoi que le rêve contribue au gouvernement de l’individu par lui-même en rassemblant machinalement tout ce qui a été refoulé, négligé, ignoré, sa portée compensatrice n’en est pas moins souvent confuse pour nous, qui ne disposons que de connaissances très imparfaites sur la nature et les besoins de l’âme humaine. Car il existe des compensations psychiques fort lointaines. Rappelons-nous dans ce cas que l’homme, dans une certaine mesure, et un représentant de l’humanité tout entière et de son histoire.
Un élément inconscient compensateur s’amplifie intensément, lorsqu’il a une importance vitale pour l’orientation de la conscience. La teneur de l’inconscient contraste avec l’état conscient ; c’est en particulier le cas quand le comportement conscient suit une ligne de conduite par trop exclusive, qui menace de porter atteinte aux nécessités vitales du sujet. Plus l’attitude consciente est d’un extrémisme exclusif et plus il faut compter avec l’apparition possible de rêves vivaces et pénétrants, au contenu richement contrasté, mais judicieusement compensateur, comme expression de l’autorégulation psychologique de l’individu. De même que le corps réagit de façon adéquate à une blessure, un mode de vie anormal ou une infection, de même les fonctions psychiques réagissent à des troubles perturbateurs et dangereux par des moyens de défense appropriés. Le songe fait partie de ces réactions opportunes, en introduisant dans la conscience, grâce à un assemblage symbolique, les matériaux constellés dans l’inconscient par les données de la situation consciente.
Le rêve décrit la situation intime du rêveur, situation dont le conscient ne veut rien savoir, ou dont il n’accepte la vérité et la réalité qu’à contrecœur. Le rêve, extériorisation d’un processus psychique inconscient et involontaire, représente la vérité, la réalité intérieure telle qu’elle est ; non pas telle que je la suppose ou que je la désire. C’est pourquoi ayons pour règle de considérer tout d’abord les rêves comme des manifestations physiologiques : si du sucre apparaît dans l’urine, c’est bien de sucre dont il s’agit et non d’albumine ou de tel autre corps qui répondrait peut-être beaucoup mieux à mon attente. C’est-à-dire qu’à mes yeux, le rêve est une donnée de valeur pour le diagnostic.
En eux-mêmes, les rêves sont naturellement clairs, c’est-à-dire qu’ils sont précisément ce qu’ils doivent être en fonction des circonstances momentanées. Quand par la suite, à un stade plus avancé du traitement ou après quelques années, on reconsidère ces rêves, on se prend la tête à deux mains, se demandant comment on a pu être aveugle à ce point.
Quiconque veut éviter la suggestion consciente doit considérer que l’interprétation d’un rêve est sans valeur tant qu’elle n’a pas acquis l’assentiment du porteur du rêve.
La dissociation de la personnalité, la séparation minutieuse et craintive entre notre être nocturne et notre être diurne s’atténue à mesure que l’assimilation progresse. Il y a toujours profit dans la pratique de l’analyse à se poser la question : « Quelle est l’attitude consciente que le rêve tend à compenser ? ». Tout rêve est un organe d’information et de contrôle et, de ce fait, l’adjuvant le plus efficace dans l’édification de la personnalité.
Il est d’une importance capitale, en vue de l’assimilation des contenus oniriques, qu’aucune valeur réelle de la personnalité consciente ne soit lésée, voire détruite ; car si la personnalité consciente est amoindrie, il ne reste pour ainsi dire, plus personne qui soit en état d’assimiler. Au cours de l’assimilation, il ne s’agit jamais de l’alternative : ceci ou bien cela, mais toujours du rapprochement de ceci et de cela.
Un observateur extérieur ne saurait dire a priori à quoi et comment réagit un être, et c’est pourquoi les symboles du rêve sont de nature essentiellement individuelle.
Auteur : C.G Jung
Éditions : Albin Michel
Réflexion:
En effet « miroir », en quoi cette lecture pourrait-elle évoquer votre parcours et comment pensez-vous qu’elle nous inspire dans nos accompagnements de cadres & dirigeants, en OUTPLACEMENT INDIVIDUEL et EXECUTIVE COACHING ?
Au plaisir de futurs échanges …