12/05

Où cours-tu? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi

  • corps

  • cycle d'expériences

Il est difficile au milieu du brouhaha de notre « civilisation » qui a le vide et le silence en horreur d’entendre la petite phrase qui, à elle seule, peut faire basculer une vie : Où cours-tu ? En fait, ce mode de comportement est le plus ancien dont l’homme moderne ait la ressource lorsqu’il y a danger : Fuis ! Sauve-toi ! Cours pour ta vie ! En courant, l’homme moderne tente d’esquiver la légion de fantômes à ses trousses, de succubes et de zombies qu’il s’est créés lui-même. Il y a des fuites qui sauvent la vie, devant un serpent, un tigre, un meurtrier ; il en est qui la coûtent : la fuite devant soi-même. Je serai encore en cavale si, au milieu d’une crise profonde, la petite question n’avait pas atteint mon oreille : Où cours-tu ? Il me fallait entendre qu’il était tout à fait inutile de courir si vite puisque ce que je fuyais était déjà soigneusement cousu dans ma peau. Mais le mouvement que suspend cette question est inscrit, lui, dans une autre dynamique de vie ; il contient la formule secrète du retournement, de la conversion et suppose que la course sauvage a aussi qualité de quête sauvage. Tout se passe comme si cette fuite avait cumulé l’énergie nécessaire pour une transmutation.

Seul celui qui a osé voir que l’enfer est en lui y découvrira le ciel enfoui. C’est le travail sur l’ombre, la traversée de la nuit qui permettent la montée de l’aube.

J’ai beaucoup fait pour ce monde quand je suspends ma course pour dire merci.

Parler de sens pour dire qu’on l’a perdu est aussi bizarre que de prétendre n’avoir plus de temps. Le sens est comme le temps, il en vient à chaque instant du nouveau. Il est là en abondance, il afflue. Tous les sens de la vie, toutes les directions données à la vie, des plus dures aux plus sensibles, prennent à la longue – si elles tiennent trop longtemps toute la place dans une vie, quelque chose de ‘désespérément méchant’ par la crispation inévitable qu’engendre l’effort de se maintenir sur un rail, de tenir bon à tout prix.

La mémoire lumineuse a des racines aériennes dans le passé, elle est vivante, imprévue et passe par le corps, par les sens, jamais par le savoir ou la volonté. Insaisissables, imprévisibles : voilà comment se réveillent la mémoire et la vie.

Nous sommes enfermés dans une prison et une voix nous dit : ‘Sors’. Nous répondons : ‘ Impossible, la porte est verrouillée ‘, et la voix nous dit : ‘Oui, mais elle est verrouillée de l’intérieur, regarde et ouvre !’. Ce sont nos représentations qui nous enferment ; nous vivons plus dans l’échafaudage de nos représentations que dans la réalité objective. Le Réel, lui, n’a ni porte ni fenêtre, il est l’infini de l’infini des possibles. Nous sommes en permanence nécessaires à la création quotidienne du monde. Nous ne sommes jamais les gardiens d’un accompli, mais toujours les co-créateurs d’un devenir.

Et soudain, la voix à mon oreille : ‘Et qu’attends-tu pour devenir Celui que tu attends ?’. Silence des galaxies… La folie du défi me rend muet. Personne n’exige de moi que je réussisse, mais seulement que je franchisse un pas en direction de la lumière. L’important n’est pas que je porte le flambeau jusqu’au bout, mais que je ne le laisse pas s’éteindre.

Le monde du dehors ne reflète que l’état du monde intérieur. Devant toute souffrance, toute violence, toute dégradation monte la question harcelante : qu’y a-t-il en moi qui souffre, qui mord, qui frappe, qui tue, qui dégrade ? De chacun de nous dépend en toute dernière instance l’état du monde.

Il y a tant de gens fascinés devant les machines, ces jouets dérisoires comparés au corps, ce chef d’œuvre que nous habitons. Quel choc est souvent nécessaire (maladie, approche de la mort…) pour en connaître la lumineuse merveille ! La métaphore corps-violon est belle même si, comparé au corps, le violon est mille fois simplifié. Il reste quand même, dans l’ordre de l’harmonie poétique, une équivalence. Tous deux sont conducteurs de musique, de la musique de l’Etre. Lorsque le chevalet du violon est déplacé d’un millimètre, le son en est cassé ; de même dans l’ordre du corps, lorsque l’empilement vertébral se vit dans sa perfection, dans sa  tension et sa détente maximale, il engendre cette sensation d’ordre amoureux, d’ordre parfait. Dans la parfaite ordonnance des vertèbres, des tendons, des nerfs, se reflète un instant l’ordre du cosmos, cet ordre amoureux.

Pourtant, la mémoire du corps est la plus profonde : tout ce qui m’a touché, tout ce que j’ai touché, les coups que j’ai reçu, les blessures, tout est dans la mémoire de mes cellules ; l’intellect lui peut jouer, effacer, recommencer de zéro, inventer des scenarios divers, les reprendre, les corriger, les analyser, les annuler, mais le corps reçoit de manière indélébile toutes les informations. Toute cette mémoire accumulée, recouverte, cachée dans les strates, empêche la vibration, la musicalité de mon corps. Dans un corps réconcilié avec ses blessures, la peur ne verrouille plus les espaces. Il faut pourtant se garder d’une conception dualiste quand on utilise ces images, et ne pas faire du corps l’instrument, et de l’âme celui qui joue.

‘Le corps, c’est le défi lancé à l’esprit de prendre corps, de se réaliser, je dirai même, le corps est la réalisation de l’esprit‘ (lettre d’Ortega y Gasset).

De notre conception à notre mort, la vie est conçue comme un chemin d’initiation, un cycle d’expériences successives. Chaque instant est le début, chaque nouveau jour, chaque nouveau livre, chaque nouvelle rencontre. A chaque moment nous commençons du neuf. La vie ne commence de faire mal, que lorsque nous ne nous laissons pas porter par son courant, lorsque nous tentons de nager à contre-courant. La vie fait mal, parfois très mal, lorsque nous nous refusons d’en épouser le cours et les méandres.

Ainsi, chaque fois que j’ai quitté un espace, je suis entrée dans un autre. Ce n’est pas facile. C’est dur de quitter le pays de l’enfance ; c’est dur de quitter le pays de la jeunesse ; c’est dur de quitter l’épanouissement féminin, de quitter la fécondité. D’un pays à l’autre, d’un espace à l’autre, il y a le passage par la mort. Je quitte ce que je ne connaissais pas et je ne sais pas où je vais. Je ne sais pas où j’entre. Traiter ce passage comme s’il allait de soi ? Bien sûr que non : ce serait légèreté.

Mais, puisque plusieurs fois déjà, j’ai fait l’expérience qu’en quittant un ‘pays’, j’entrais dans un autre d’une égale richesse, sinon d’une plus grande richesse, pourquoi donc hésiterais-je devant la vieillesse ? Fais confiance à la métamorphose.

La vie a d’ailleurs, cette extraordinaire clémence de nous donner à tout moment l’occasion d’apprendre à mourir. Cet apprentissage ne nous est-il pas offert à chaque respiration ? Si je vais au bout de chaque expir, je restitue toute cette richesse qui m’a été donnée dans l’inspir. J’accueille et je rends ce qui m’a été donné. Dans chaque expir, j’apprends la mort, j’apprends à restituer.

Refuser de mûrir, refuser de vieillir, c’est refuser de s’humaniser. L’humanisation passe par le relâchement du masque, par son amollissement.

Il faut se garder de prendre les mots en otage et d’en mésuser ; ils sont notre seul accès aux champs de la conscience ; les clefs qui ouvrent les espaces.

Être là ! Le secret. Il n’est pas d’autre chemin pour sortir des léthargies nauséabondes, des demi-sommeils, des commentaires sans fin, que de naître enfin à ce qui est

 

Auteur : Christiane Singer                          

Éditions : Le Livre de Poche

 

Réflexion:

En effet « miroir », en quoi cette lecture pourrait-elle évoquer votre parcours et comment pensez-vous qu’elle nous inspire dans nos accompagnements de cadres & dirigeants, en OUTPLACEMENT INDIVIDUEL et EXECUTIVE COACHING ?

Au plaisir de futurs échanges …