Le paradoxe du poisson rouge : une voie chinoise pour réussir
Dans un monde de plus en plus complexe, incertain et mouvant, les Chinois évoluent comme des poissons dans l’eau, avec souplesse et succès (pensée circulaire et en réseau / la nôtre : pensée linéaire et rationnelle). La sagesse en Chine se transmet non par des traités de philosophie ou de théologie, mais au travers d’anecdotes ou de maximes paradoxales qui interpellent le lecteur et brisent sa logique rationnelle. Elle consiste à éclairer, creuser toujours davantage l’évidence pour mieux savourer la vie ; elle relève de l’art de vivre, fait appel à l’intuition et non à la raison.
Le poisson rouge est célébré en Chine depuis la nuit des temps ; il s’agit de la carpe koï, qui est sacrée car ressemblant à un petit dragon, ancêtre mythique de ce peuple. Le calendrier chinois est une illustration de l’importance donnée à la gente animale ; les arts martiaux seraient selon la légende nés de l’observation des animaux pour se détendre après la méditation. Le célèbre diagramme taoïste du ying – yang, qui représente deux poissons stylisés tête bêche, lovés l’un contre l’autre, l’œil de chacun ayant la couleur du corps de l’autre. Belle illustration de la coopération des contraires, en croissance et décroissance alternée : le yin féminin symbolisé par la terre, le yang masculin symbolisé par le ciel. La carpe montre à travers 8 vertus la Voie de la réussite ; le mot vertu doit être compris non pas au sens moral mais au sens latin de force, de potentiel. Le chiffre 8 est porteur de chance. Les vertus de la carpe koï sont d’égale importance et indissociables ; la Chine ignore les classements hiérarchisés propres à la pensée rationnelle.
Les 8 vertus de la carpe koï
Ne se fixer aucun port (« Etre sans idée pour rester ouvert à tous les possibles » – Confucius)
Le pire défaut est de vouloir avoir raison car on s’enferme dans son raisonnement et on devient sourd et aveugle ; il convient de mieux observer pour absorber. Selon Lao-tseu : « Celui qui ne sait pas, voit toujours des forces opposées et contraires. Celui qui sait, voit dans les aspects contradictoires des compléments nécessaires ». La Chine donne la primauté au « et » sur le « ou » ; dans la réalité, elle observe que rien ne s’oppose, tout se superpose ; rien ne s’exclut ni ne s’annule, tout s’ajoute et s’additionne. La vision juste s’obtient en l’absence de tout « emmaillotement conceptuel », car l’homme est dans le déni de la réalité, tant sur lui-même que sur le monde, car : 1. Il ne voit pas le réel tel qu’il est mais en fonction de ses désirs ou de ses craintes & 2. Il ne le voit pas non plus dans sa globalité car il ne s’attache qu’à la surface des choses, occultant la partie immergée, la plus importante.
A travers la parabole du poisson rouge, qui n’émet aucun son, les penseurs chinois font l’éloge du silence ; un proverbe populaire dit : « Il faut deux ans pour apprendre à parler et toute une vie pour apprendre à se taire ».
Ne se fixer aucun but (« Le chemin se trace en marchant » – Lao-Tseu)
La fixation sur un but présente pour la sagesse chinoise deux inconvénients majeurs : 1. Elle est source de tension, qui dilapide l’énergie vitale de l’homme et en conséquence raccourcit sa vie & 2. Elle ne permet pas de voir ce qui se passe à la hauteur du sol et donc de saisir les opportunités qui se présentent. Les Chinois ne se demandent pas comme nous « comment atteindre le bonheur » ; ils se demandent « comment vivre plus longtemps », en bonne santé et le plus harmonieusement possible. « L’homme du commun respire par la gorge, le sage respire à partir des talons » (Tchouang-tseu). Peuple travailleur, ils ne récusent pas l’effort mais la dilapidation de leur capital énergie qui, une fois perdu, ne se reconstitue plus. Aussi cherchent-ils en toutes circonstances à obtenir le maximum d’effet avec le minimum d’effort. Forcer, c’est se fragiliser ; se dépenser sans compter, c’est se consumer : « Qui s’efforce nuit à sa force » – Lao-tseu. Pavé dans la mare de notre célèbre maxime « vouloir, c’est pouvoir », qui donne à croire qu’on peut tout maîtriser, tout contrôler. La Bible appelle sans cesse l’homme à se dépenser, à se dépasser ; ce qui est obtenu sans effort est sans valeur. Les mots qui reviennent le plus souvent dans la Bible sont : effort, travail, sacrifice. Le fléau s’acharne sur l’homme qui s’obstine à vouloir organiser ce qui s’organise seul ; il convient de ne pas « interférer » sur les évènements (« On ne tire pas sur les plantes pour les faire pousser plus vite » (Meng-tseu).
L’absence de visée ne veut pas dire absence de vision ; la visée porte sur un objectif précis à atteindre le plus vite possible grâce à une stratégie définie préalablement. La vision a un champ beaucoup plus large, s’inscrit dans la durée et s’appuie pour anticiper l’avenir sur le potentiel de la situation ici et maintenant.
Vivre dans l’instant présent (« Le passé est dépassé, le futur aléatoire, la seule réalité est ici et maintenant » – Bouddha)
Le Chinois est totalement présent à ce qui est et à ce qu’il fait (nous découvrons aujourd’hui que le cerveau n’est pas fait pour de multiples tâches : sous l’assaut croissant des choses à faire, les burn out se multiplient). Rien n’est écrit à l’avance, l’avenir sera celui des germes que l’on aura choisi de cultiver ; l’homme est acteur de son destin (les bouddhistes recommandent : « Change et ton destin changera »).
Pour la sagesse chinoise, le Réel est bien plus riche, plus vaste que toutes nos mesures, représentations et constructions intellectuelles (qui ne portent que sur la partie émergée de l’iceberg). Le yang correspond au visible, à l’aspect extérieur des choses ; le ying correspond à l’invisible, à l’aspect intérieur des choses et c’est sur lui qu’il importe de porter toute son attention car selon la sagesse taoïste : « Qui voit l’invisible est capable de l’impossible ». Sous la croute de la réalité visible, il existe en effet une réalité invisible, souterraine, qui émergera plus tard. C’est dans l’infime, le presque rien, que tout se joue ou se révèle. Dans un monde où tout s’accélère, alors que le temps mécanique nous robotise, celui qui palpite nous humanise (nécessité de plages de détente et de silence pour se ressourcer).
Ignorer la ligne droite (« L’arbre tordu vivra sa vie, l’arbre droit finit en planches » – Dicton)
L’art du détour et de l’esquive. Amoureux du cercle, les Chinois pensent aussi en cercle ; approfondir est important pour clarifier. Les Chinois cherchent en priorité à désamorcer les conflits, à dissoudre les problèmes au lieu de les résoudre. Selon Tao te King : « La voie est d’œuvrer sans batailler ». « Les dents parce que rigides finissent par tomber, la langue, elle, parce que souple ne vieillit jamais » (citation médecin taoïste Hua To).
Se mouvoir avec aisance dans l’incertitude (« C’est au moment où l’on a des certitudes que l’on perd la guerre » – Sun-Tseu dans l’Art de la guerre)
La vérité ne se trouve pas au bout du chemin, la vérité est le chemin même et celui-ci n’est pas une ligne droite, il suit les méandres de la vie, bifurque, se réoriente sans cesse au gré des opportunités et des difficultés (= vivre en harmonie avec le Tao).
« La joie est en tout, il faut savoir l’extraire » – Confusius. Malgré les blessures et les déchirures, ne laissons jamais s’éteindre en nous cette source d’eau vive qu’est l’enthousiasme. « Un grand homme est celui qui n’a pas perdu son cœur d’enfant » dit Mencius. «Le pessimisme est un laisser-aller, il faut vouloir être heureux » (Bouddha).
Oser est la première voie de la vie.
Vivre en réseau (« La croyance en une personne libre, autonome; s’en séparer est une illusion à détruire » – Bouddha)
Cultiver la modestie et renforcer les liens de dépendance : « L’idéal quand on est un coq est de se faire passer pour une poule » (Lao-tseu). La sagesse chinoise fait l’éloge de la fragilité : c’est dans l’échange que l’on change et progresse ; mais pour cela il faut ressentir une faille, un manque, une insuffisance. Ce sentiment crée un appel d’air, un sortie de soi, une curiosité d’esprit.
Rester calme et serein (« Si tu es serein, tu peux surfer sur la vague ; si tu as peur, elle t’engloutira » – Tel est l’esprit du zen)
Pour la sagesse chinoise, les émotions sont de véritables vampires du chi : elles provoquent des courts-circuits intérieurs qui pompent l’énergie, usent l’organisme, voilent la réalité et perturbent l’entourage. Plus l’esprit est calme et paisible, plus il voit large et profond et mieux aussi il vit en harmonie avec les autres.
La pensée : ce que les bouddhistes appellent « le singe fou » car toujours agitée et perpétuellement insatisfaite. Soumise à notre affectivité et à nos humeurs, elle est bien plus trompeuse que nos sens. L’action et la méditation, loin de s’opposer, s’appellent l’une l’autre pour se féconder mutuellement.
Pour la sagesse chinoise, le corps est notre meilleur professeur, « l’arbre de l’éveil » selon Bouddha, et non « le tombeau de l’âme » comme le qualifiait Platon. Il nous prévient bien avant notre tête, par des troubles physiques, de ce qui ne va pas dans notre vie. L’être humain est envisagé comme un tout, l’opposition entre le corps et l’âme, l’esprit et la matière, ne se retrouve pas dans les écritures chinoises. Tout est énergie. L’important n’est pas de chercher la perfection mais la profondeur, le calme et le bien-être intérieur.
Remonter à la source (« L’homme n’est pas seulement fils de la Terre, il est aussi fils du Ciel » – Confucius)
Ne pas se couper avec ses traditions : Le rôle des parents et des enseignants est de donner aux enfants « des racines et des ailes », des racines pour développer la confiance en soi et des ailes pour découvrir d’autres mondes.
Ne pas oublier son origine céleste : La sagesse chinoise fait une distinction entre l’esprit et l’âme, siège des pensées, des désirs, des sentiments, des émotions, nécessairement contradictoires et fluctuants. L’esprit est le « souffle » qui permet de réanimer l’âme abattue, de rebondir dans les épreuves et se manifeste sous forme de « lumière ». Tel un vitrail qui a besoin d’être éclairé par la lumière du jour, l’âme a besoin d’être éclairée par la lumière de l’esprit. Sans ce souffle, l’homme s’essouffle.
Réaliser notre vocation profonde : car nous avons tous une vocation unique, mais il faut du courage pour devenir celui que nous sommes appelés à être.
Vivre avec légèreté et simplicité : l’égo se prend toujours trop au sérieux et la vie trop au sérieux.
Vivre en harmonie avec les autres : car chacun sait que le bonheur est dans le lien plus que dans le bien.
Auteur : Hesna Cailliau
Éditions : Saint-Simon
Réflexion:
En effet « miroir », en quoi cette lecture pourrait-elle évoquer votre parcours et comment pensez-vous qu’elle nous inspire dans nos accompagnements de cadres & dirigeants, en OUTPLACEMENT INDIVIDUEL et EXECUTIVE COACHING ?
Au plaisir de futurs échanges …