Et Nietzsche a pleuré
« Plus d’un qui ne peut briser ses chaînes a su pourtant en libérer son ami » – Nietzsche (« Ainsi parlait Zarathoustra »).
« Formule d’airain » de Nietzsche : « Deviens qui tu es » – « Comment puis-je devenir ce que je suis? »
Comment se connaître et réaliser sa véritable personnalité? La question occupe les philosophes depuis l’Antiquité. Chacun doit se considérer comme un être en devenir qui se découvre au cours de son existence.
La fameuse citation « deviens ce que tu es » est celle d’un poète lyrique du Ve siècle avant JC qui s’appelle Pindare. Il s’adresse à Hiéron, tyran de Syracuse, pour l’exhorter à réaliser sa véritable personnalité. On oublie souvent la suite de cette citation qui est pourtant très éclairante: « quand tu l’auras appris »… Epicure, pour qui se changer soi-même est le principal devoir, reprendra la première partie de cette citation, tandis que Socrate appuiera sur la deuxième avec son fameux « connais-toi toi-même », gravé sur le fronton du temple de Delphes. Repris par Saint Augustin qui exhorte les chrétiens à se rapprocher le plus possible de ce qu’ils sont vraiment, c’est-à-dire des enfants de Dieu, « deviens ce que tu es » a résonné d’une manière toute particulière dans la bouche de Nietzsche qui invite l’homme à quitter sa « médiocrité » pour devenir « surhomme ». Qui ne s’interroge pas devant cet aphorisme? Comment peut-on devenir ce que l’on est déjà? Pourquoi ce ton si péremptoire nous obligerait-il à changer? Ce que l’on est, n’est-il pas par définition inchangeable? N’est-ce pas précisément ce que l’on reste au-delà de ce que l’on devient? Ne serions-nous qu’un brouillon de nous-même?
Si nous prenons cette injonction au niveau métaphysique, nous ne pouvons nous en servir pour changer. Si nous nous considérons au contraire comme des êtres vivants et libres, il en est tout autrement. Car ce que nous sommes aujourd’hui est le fruit d’un devenir complexe, où nous avons été mis en situation d’être et de faire, tout au long duquel s’est formé -ou déformé- une image de nous-même qui risque toujours de se figer. Influencé dès notre enfance par ce que les autres pensent et disent de nous, le regard que nous portons sur nous-même ne peut être à la hauteur de ce que nous sommes vraiment en puissance.
Une partie de nous-même nous est cachée car elle ne nous a pas encore été révélée : celle de nos talents, de notre potentiel. Devenir ce que je suis, c’est devenir tout ce que je peux être.
C’est me libérer d’une idée de moi-même, non par un volontarisme qui me ferait chercher à devenir ce que je ne suis pas -car qui veut faire l’ange fait la bête-, mais par l’envie de me dépasser pour aller au bout de mes envies. Mieux me connaître, c’est connaître mes goûts et mes envies, c’est me surprendre en réalisant des choses que je ne me sentais pas capable de faire, c’est penser à moi et garder à cœur ce qui m’est important, c’est me réjouir de mes succès et apprendre de mes échecs, c’est prendre le risque de faire différemment de mes habitudes, de penser au-delà de mes croyances.
Nul ne peut savoir qui il sera demain car la personne se découvre au fur et à mesure de la vie dans ce qu’elle entreprend, aime, découvre, ressent, crée et réalise. Devenir tout ce que je peux être, c’est donc me considérer comme un être en devenir qui se découvre progressivement au cours de son existence.
Pareil à une plante qui grandit en partant de l’état de graine, je suis fait pour me développer dans la ligne de ce que je suis en profondeur et ce développement de ma personne nécessite plusieurs conditions :
• un environnement dans lequel je me sens bien, où je peux prendre racine dans une terre qui me nourrit;
• des encouragements et une attention à moi-même qui m’arrosent aux bons moments et m’empêchent de m’épuiser;
• une lucidité qui, pareille au soleil, me permet de rester centré sur l’objectif que je poursuis en restant attentif aux risques et aux opportunités;
• une ambiance qui m’oxygène, me permet de respirer, de souffler, de reprendre mon souffle quand l’effort a été intense.
L’analogie à la plante a cependant des limites. Car nous avons un esprit qui évolue de manière différente de notre corps. Alors que ce dernier grandit rapidement pour commencer une décroissance progressive, notre esprit a soif de toujours plus et peut se développer quasiment à l’infini, attiré par l’amour et la vérité dont nul ne peut faire le tour. Autre point de divergence: nous avons besoin des autres pour nous dépasser nous-mêmes. Nous devenons d’autant plus que nous nous tournons vers les autres, l’interaction actuelle avec cet autre étant ce qui nous rend heureux. Si le surhomme est un gonflement de l’égo qui se positionne « au-dessus » dans le but de posséder, l’homme qui grandit s’implique modestement « avec » les autres dans la réalisation d’un projet qui le dépasse et le finalise.
Quand le « je » de la personne s’enferme dans l' »ego », il se positionne en contre et réduit le « nous » collectif en « on » impersonnel et anonyme. Quant au contraire, il se nourrit de l’extérieur, il contribue au développement du monde par son énergie et son rayonnement.
« Il faut porter du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse » – Nietzsche
Nous sommes tous composés de parties différentes, dont chacune cherche à s’exprimer. Nous ne sommes responsables que du compromis final, mais non des élans capricieux de chaque partie.
Auteur: Irvin Yalom
Editions: Le livre de Poche
En effet « miroir », en quoi cette lecture pourrait-elle évoquer votre parcours et comment pensez-vous qu’elle nous inspire dans nos accompagnements de cadres & dirigeants, en OUTPLACEMENT INDIVIDUEL et EXECUTIVE COACHING ?
Au plaisir de futurs échanges …